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Cosmos et Inertie

Le problème de l'origine de l'inertie des corps a constitué un des fondements de la recherche fondamentale en physique. Ses implications cosmologiques ont révolutionné notre compréhension de l'univers.
Cet exposé se veut avant tout historique, brosant à grands traits l'évolution de cette grande question des grands tenors de l'antiquité  Démocite, Lucrèce et Aristote jusqu'à Einstein en passant par Galilée, Huygens, Newton, Berkeley, Mach et De Sitter.
Parce que l'inertie est évoquée dans sa vision contemporaine, il est possible d'évoquer pourquoi, étonnament , la réponse à cette question n'est toujours pas close, et d'évoquer quelques nouvelles pistes questionnant toujours plus avant les fondements de la réalité.
 

  1ère époque: philosophie naturelle et expérimentale

        De la matière et de sa liberté
        Relativité

2ème époque: la physique de l’abstraction

        Newton et la pomme, Newton et le seau.
        Le petit prince de la cosmologie
        Les principes
        La démonstration
        Une affaire de métrique
        Echec et questions

1ère époque: philosophie naturelle et expérimentale

L’histoire des sciences est parcourue de thèmes dont le vrai contour ne se révéla que progressivement, grâce à l’obstination et au sens critique des esprits les plus curieux et les plus perspicaces de leur temps.

Et même si les solutions à ces questions semblent en fait si insaisissables qu’elles sont sans cesse repoussées, les débuts de réponse qui y furent apportées engendrèrent une révolution dans notre vision du Monde.

Ces problèmes sont si profonds que leur questionnement évoquent les fondements de l’univers et les résoudre enfin pourrait apporter une réponse définitive sur un pan entier de vérité.

Le problème de l’inertie est de ceux là.
 

De la matière et de sa liberté.

L’inertie fut évoquée pour la première fois sous un angle implicite par Démocrite 4 siècles avant J.C.: l’univers étant vide et infini, il n’existe pas de direction privilégiée; le mouvement de la matière composée de particules insécables (les atomes) est libre. Le mouvement naturel est donc droit et uniforme (et sans l’aide de dieux!).

En grand successeur, Lucrèce, dans son poème didactique sur les atomes extrait de son ouvrage " De Natura Rerum " (vers -55 av. J.-C.), affirme entre autres exemples remarquables de philosophie naturelle, que les corps les plus pesants ne peuvent rattraper les plus légers dans leur chute que si la substance qu’ils traversent cède aux plus lourds, ainsi de l’eau ou de l’air. Mais dans le cas du vide, il n’existe aucune raison que les objets ne chutent pas à la même vitesse: Galilée devancé de dix-sept siècles!

Grand Lucrèce, encore admiré sous Auguste et pourtant oublié jusqu’à la Renaissance.

Hélas , Aristote vers 350 av. J.-C., exposant un système volontairement basé sur l’intuition et l’apparence des phénomènes décrira un univers fini, rempli d’une substance éthérée. La matière a essence à être immobile et il faut appliquer une poussée pour lui imprimer une vitesse. La Terre y est naturellement immobile au centre du Monde.

La chape de plomb de la perpétuation des principes d’Aristote et du modèle du monde géocentrique, séparant irrémédiablement le domaine de la Terre de celui du Ciel empêcha tout du long du Moyen-Age un quelconque progrès dans notre vision rationnelle.

Nous sommes à la fin du Quintecento. Michel Angelo, Leonardo di Vinci ont laissé leurs empreintes.

Le temps est venu pour Galileo, l’expérimentateur.

Osant vérifié par lui-même la loi édictée par Aristote, et inspiré par la loi de mouvement rectiligne et uniforme, il énonce le principe suivant: deux systèmes libres sont, l’un par rapport à l’autre, immobiles ou animés d’un mouvement rectiligne uniforme.

On peut justement avancer que c’est cette sympathie de Galilée pour la liberté de la matière (et donc sans intervention de Dieu ) qui lui valut un procès en hérésie et seule son amitié avec le pape Urbain VIII causa le détournement du procès vers le problème de l’héliocentrisme qui n’était déjà presque plus défendable à l’époque.

Selon Galilée l’état d’immobilité ou de mouvement droit uniforme apparaissent équivalents.

L’explication de cette équivalence tient dans l’inertie du corps vue comme sa propriété à résister à toute force tendant à le mettre en mouvement ou à le dévier d’une trajectoire rectiligne à vitesse uniforme.

Les mouvements ne sont donc inertiels que dans des repères où le mobile est fixe ou en déplacement uniforme.

On parle alors de référentiel inertiel ou galiléen.
 

Relativité.

Dès Galilée, la relativité du mouvement s’impose car un référentiel absolument fixe ne peut se concevoir; en effet, par rapport à tout objet mobile dans l’univers, le référentiel fixe redevient lui-même mobile.

La seule autre possibilité est d’imaginer un univers empli d’un substrat immobile qui constituerait l’unique référentiel absolu. C’est la notion d’éther, support des propagations des ondes lumineuses, notion que l’expérience d’optique de Michelson-Morley démentira en 1887 en montrant que, quelle que soit l’orientation du dispositif, la célérité de la lumière par rapport au dispositif est invariante, ce qui signifie que l’on ne peut détecter un mouvement propre de la Terre dans son déplacement à travers l’espace.

Soumis au principe de relativité, l’inertie exprime que par rapport à tout mobile libre pris comme référentiel, tout autre système libre est fixe ou en translation uniforme.

Cette uniformité de l’espace permet en fait de retrouver la loi de l’inertie.

L’impulsion d’un mobile est définie par le produit de sa masse et de sa vitesse dans un référentiel donné.

On définit ensuite l’action comme étant le produit de l’impulsion par la longueur parcourue par ce mobile.

Le principe de moindre action permet de déterminer la trajectoire effective du mobile; autour de cette trajectoire, la variation de l’action s’annule.

Or cette variation ne dépend pas du temps si l’écoulement du temps est constant (nécessitant déjà une vitesse constante par rapport à un référentiel galiléen)

Cette variation ne dépend pas non plus de la position si l’espace est le même en tout point (homogénéité). Elle ne dépend enfin pas de la direction si l’espace est le même dans toutes les directions (isotropie).

En définitive, si une particule suit une trajectoire libre (loin de tout champ de gravité), sa vitesse sera constante.

La loi d’inertie se déduit donc des symétries de l’espace. Mais d’où viennent les forces d’inertie lorsque le mobile ne se déplace plus à vitesse constante ?

Selon la vision galiléenne, toute accélération ou mouvement circulaire nécessite une force et engendre l’apparition d’un effet d’inertie proportionnel à sa masse inerte.

Or si l’on décrit la trajectoire d’un corps à partir d’un référentiel accéléré, le mouvement est en général lui aussi accéléré et le corps semble soumis à une force d’inertie qui s’exprime dans le sens opposé à l’accélération du référentiel.

Exemple: un véhicule est freiné. Ses occupants conservant la vitesse du véhicule avant l’application du freinage subissent une force opposée à la décélération.

De même, un mobile en rotation dans un champ de pesanteur subit une force centrifuge, cette force due à l’inertie est opposée à la force d’attraction.

Ce fut Huyghens, le physicien astronome néerlandais, qui démontra justement que cette force est négligeable dans la rotation terrestre ce qui justifie l’apparente fixité de la Terre.

En orbite, l’attraction d’un mobile dans un champ de pesanteur est compensée par une la force centrifuge qui lui est égale . A chaque orbite et donc à chaque distance au centre de masse correspond une vitesse orbitale précise.

Lorsque la vitesse du corps est insuffisante pour engendrer une force centrifuge compensant la gravité, le corps chute progressivement. La masse intervenant dans son accélération est sa masse inertielle. La force appliquée est proportionnelle à sa masse grave. Einstein déduira la stricte équivalence entre les 2 masses du principe d’équivalence entre tous les points de vue des observateurs (relativité des référentiels). Cette équivalence justifie dans un premier temps que toutes les masses tombent à la même vitesse dans le vide car l’accélération ne dépend plus que de la masse de corps attractive.

En fait, ceci n’est vrai que dans un champ de pesanteur constant dans le temps où le corps attractif, bien plus massif que le corps attiré, reste fixe.

De même sur Terre, quand on parle de force centrifuge pour parler de force d’inertie liée à la rotation de la Terre, on doit s’interroger car vu d’un référenciel à la surface de terrestre il n’existe pas de mouvement relatif donc pas de force d’inertie ; ces forces sont relatives à l ’état d’un mouvement observé d’un repère donné.

Selon Galilée, l’inertie étant proportionnelle à la masse inerte serait ainsi une propriété inhérente à la matière. Mais, ces forces d’inertie ne se révélant que lors d’accélération, se pose le problème du référentiel de mesure. S’il n’existe que des référentiels relatifs, l’inertie elle-même est relative car elle n’existe que par rapport à des masses externes engendrant le champ de gravitation.

L’inertie ne semblant pas dépendre sensiblement de la répartition locale de la matière (sinon elle changerait fortement au sein même du système solaire), elle peut dépendre de la répartition des masses lointaines qui engendrent le champ de gravité global de l’univers.

Mais cette seconde hypothèse, celle d’une inertie liée à l’interaction du corps avec l’Univers tout entier attendra ainsi 3 siècles après Galilée pour être énoncée par Mach et complétée par Einstein.

Entre temps, Newton aura énoncé la première loi de la gravitation en introduisant la notion de force pouvant se propager à distance.
 
 

2ème époque: la physique de l’abstraction

Newton et la pomme, Newton et le seau.

Arrive sur la grande scène de la connaissance, Sir Isaac Newton, fondateur de la mécanique analytique, cofondateur du calcul des fluxions, père de l’optique moderne, alchimiste, fanatique de textes hiératiques, hérétique à ses heures.

Newton découvrira en 1667 l’équivalence entre la pesanteur et la gravitation, celle qui relie les hommes à la Terre et les astres entre eux. Il énoncera officiellement seize ans plus tard la forme analytique de la force d’attraction nécessaire pour décrire le mouvement soumis à la gravitation (une force qui décroît de quatre lorsque la distance double) mais le support de propagation de cette force ne sera pas décrit. Par la suite Einstein montrera que cette force équivalente n’est pas une poussée qui se propage mais une modification des relations d’espace et de temps due à la présence de la matière, modification rendue nécessaire pour rendre équivalente la description des lois dans tout repère même accéléré. La gravitation, fruit d’une symétrie.

Newton se posera aussi la question du référentiel absolu.

En examinant un seau en rotation, il observa que la surface du liquide forme une parabole due aux forces d’inertie, le liquide étant soumis à une rotation subissant une accélération. Il en conclura que la parabole indique une accélération absolue.

Mais une accélération par rapport à quoi? Par rapport aux étoiles lointaines supposées fixes, c’est à dire par rapport à une certaine distribution globale de matière prise comme référence répondra Berkeley quelques décennies plus tard.

Dans l’hypothèse où l’univers entier serait en rotation et le seau resterait fixe les mêmes forces apparaîtraient; parler d’accélération absolue n’a pas plus de sens que de parler de vitesse absolue.

Mach, philosophe autrichien de la fin du siècle dernier, poursuivra sa réflexion en ce sens: sans masse dans l’univers autour du seau (et notamment en l’absence des masses lointaines qui définissent le champ global de gravitation), l’accélération ne pourrait pas être définie, il n’existerait pas d’inertie et la surface du liquide ne subirait pas une parabole de révolution; l’inertie est due à l’influence des masses de l’univers sur l’objet en mouvement dans le champ de gravité global de l’univers.

Mach énonce donc l’hypothèse d’une force d’inertie équivalente à une force de rappel que subirait le mobile lorsque sa trajectoire ne suit plus le mouvement de chute libre dans le champ produit par l’ensemble des masses lointaines, des masses uniformément réparties afin de justifier d’une inertie ne dépendant pas de la direction.

L’inertie phénomène intrinsèque pour Galilée, relatif à un espace absolu pour Newton, devient un phénomène lié à la cosmologie pour Mach.
 

Le petit prince de la cosmologie.

Survient Einstein, l’expérimentateur de la pensée.

L’équivalence de la forme des lois physiques dans tout référentiel inertiel implique qu’aucun référentiel n’est absolu; l’expérience de Michelson avait bien montrée qu’on ne peut mesurer la vitesse absolue de la Terre dans l’univers.

Cet énoncé de la relativité adressant le seul domaine de la mécanique, Einstein l’étendra en 1905 aux lois de l’électromagnétisme selon le principe de relativité restreinte (restreinte aux systèmes liés à des référentiels inertiels en translation à vitesse uniforme les uns par rapport aux autres). L’électromagnétisme servant de vecteur à la propagation du signal , les conséquences en seront la relativité de la mesure du temps et en fait un couplage entre les coordonnées d’espace et de temps. Un phénomène se déroulant dans un repère libre, il ne suffit plus de changer les seules mesures de longueur pour décrire ce même phénomène dans un autre repère en translation par rapport au premier; la longueur et l’écoulement du temps seront couplés lors d’une propagation car elles dépendent conjointement de la perspective du référentiel en mouvement.

La relativité restreinte montre que la masse d’un mobile varie avec sa vitesse et dépend donc du référentiel d’observation; non seulement la mesure de l’accélération (et donc des forces d’inertie) dépend du référentiel mais son paramètre, la masse, en dépend lui aussi; la masse n’est plus un paramètre intrinsèque mais dépend des conditions d’observation.

La relativité, dans sa forme restreinte, ne s’applique qu’aux phénomènes observés depuis un référentiel en translation uniforme par rapport au mobile. L’équivalence dans l’expression des lois physiques entre repères même non inertiels trouve son énoncé au travers de la relativité générale.

Einstein est fortement influencé par l’hypothèse de Mach. Il considère également que l’inertie est imposée par un champ de gravitation d’origine cosmologique.
 
 

Les principes.

La relativité , c’est la description de l’équivalence entre tous les points de vue. Tout comme le champ d’accélération apparaît pour rendre équivalent les lois descriptives des phénomènes dans un espace loin des masses et dans un espace soumis à un champ de gravité, le champ d’inertie apparaît pour rendre équivalent la description des phénomènes dans des référentiels inertiels et dans des référentiels accélérés.

On parle de champ pour qualifier une région de l’espace où s’exerce une contrainte (les effets d’une force dans la vision de la mécanique newtonienne).

Les deux champs, champ d’accélération et champ d’inertie sont rendus équivalents localement en égalant les deux paramètres caractérisant les valeurs de ces champs: la masse grave et la masse inerte.

L’idée clé d’Einstein est donc de faire disparaître la notion de gravitation en tant que force. La gravitation n’est qu’une accélération décrite dans un espace courbe et non pas une force sans support dans un espace euclidien plat. La gravitation est donc décrite géométriquement afin de refléter la symétrie de description entre repères inertiels et repères accélérés.

Si ni la gravitation, ni la géométrie de l’espace et du temps ne sont absolus, si à l’absence de gravitation (l ’inertie) correspond précisément l’absence d’effets géométriques (le mouvement est rectiligne) pourquoi la géométrie et la gravitation ne seraient pas la même chose ?
 

La démonstration.

Einstein pose l’équivalence:

Mouvement inertiel (mouvement nul = mouvement droit selon Galilée) =

Mouvement gravitationnel (pesanteur = gravitation selon Newton).

Mais selon Newton , les mouvements inertiels reposent sur l’absence de force et le gravitationnel sur une force.

Afin de rendre équivalentes ces deux notions contradictoires, Einstein a posé que les référentiels d’inertie sont les référentiels en chute libre autrement dit tout mouvement libre est inertiel, notamment un mouvement de chute libre dans un champ de gravité (on flotte en vol relatif, tous les corps tombant à la même vitesse).

Inversement, tout champ gravitationnel est équivalent localement à un champ d’accélération.

Cette équivalence n’est bien sûr que locale car les lignes du champ de gravité sont centripètes et non pas parallèles; il faut appliquer un vecteur d’accélération d’orientation différente en chaque point d’un même équipotentiel pour simuler l’attraction.

En clair, il est dit que le mobile chutant librement peut être rendu équivalent à un mobile loin de tout champ qui subirait tout du long de sa trajectoire une accélération équivalente.

C’est bien le principe de relativité qui nécessite cette équivalence car il stipule l’invariance de la forme des lois décrite par des observateurs dans des repères accélérés; la gravité est donc un effet de symétrie entre les observateurs (étant décrit par des équations différentielles exprimant le comportement en chaque point, on parle de symétrie de jauge locale).

Ce principe a deux conséquences: l’une sur la notion de masse et l’autre sur le mouvement des objets dans un champ de gravité.

La masse. L’équivalence, non seulement impose l’égalité: " masse inerte = masse grave du corps subissant l’attraction " mais aussi l’égalité: " masse passive subissant l’attraction = masse active du même corps " exerçant une attraction.

En fait l’équivalence masse inerte / masse gravitationnelle induit l’équivalence entre les " forces " d’inertie liées à une accélération et la " force " de gravité.

Einstein a donc remplacé toutes les masses par la seule masse inerte.

Le mouvement. Dans le modèle d’Einstein, l’attraction est une perturbation du mouvement et donc un changement du lien entre les coordonnées d’espace et de temps.

N’oublions pas que la lumière émise par un observateur chutant librement dans un champ de gravité doit être émise droite dans le repère de l’observateur pour que le phénomène soit équivalent par le principe de relativité à la même expérience dans un espace loin de tout champ (équivalence des repères inertiels).

Mais le référentiel est lui-même en chute libre; la lumière émise apparaîtra courbée vue d’un référentiel lié à la masse attractive; le chemin de lumière apparaît courbée par la masse.

La gravité est donc un champ d’accélération dans un espace courbe qui agit sur la masse inerte. Le mouvement libre subissant le principe de moindre action dans un champ de gravité  équivaudra à la trajectoire la plus courte (donc à une géodésique) dans l’espace courbe de propagation.
 
 
 
 

Une affaire de métrique.

On emploie le terme de métrique pour exprimer une grandeur ne dépendant que de la courbure de l’espace et qui exprime la variation couplée du temps et de l’espace lors d’une propagation.

Or la présence d’une masse va modifier cette métrique.

La gravitation n’est que l’effet d’une métrique impliquant que les trajectoires stables sont des orbites. La métrique définit un champ c’est à dire un espace où les corps sont soumis à une accélération.

Le champ de gravitation devient un champ d’accélération soumis à une métrique locale. L’inertie, définissant l’état de mouvement dans ce champ d’accélération, est donc soumis à l’ensemble des masses de l’univers modifiant de proche en proche la courbure locale, c’est à dire la métrique.

Il n’y a plus de force à distance mais une propagation de proche en proche d’un effet d’accélération. Cet effet d’accélération, c’est à dire de courbure dans la trajectoire n’est là que pour rendre équivalents les phénomènes loin des masses et dans des repères accélérés (avec ou sans masse).

Pour rendre équivalent un mouvement droit inertiel et un mouvement circulaire dans un champ de pesanteur, Einstein considère que le mouvement droit inertiel est un mouvement géodésique sur un espace plat et le mouvement circulaire autour d’une masse devient un mouvement géodésique selon un espace courbe.

En fonction de l’importance de la masse, c’est à dire de la courbure de l’espace, la métrique c’est à dire la relation entre une distance et un écoulement du temps entre 2 événements cause/effet va être modifiée.

La métrique de Minkowski décrit un espace plat qui est tangentiel à un espace courbe décrit par la métrique de Schwarzschild dans le cas d’une masse statique et la métrique de Robertson dans le cas de masses en mouvement.

Dit en language plus courant, on peut toujours approximer l’espace courbe réel par un espace plat où les mouvements sont sans accélération et donc inertiels.

C’est l’écart entre l’espace courbe lié à un champ de gravitation ou à un champ d’accélération (les 2 visions étant équivalentes) et l’espace plat qui provoque la force d’inertie.

Et la source de l’inertie ? Einstein peut alors s’attaquer au problème de Mach: l’explication cosmologique de l’inertie. Un modèle d’univers unique doit être solution des équations de la relativité générale (un espace statique et homogène à grande échelle selon les vues de l’époque).

Pour que l’inertie soit un phénomène dû au contenu matériel de l’Univers, il faut que le mouvement dans un espace à faible courbure lié à la géométrie globale de l’Univers soit assimilable à un mouvement inertiel dans l’espace plat. Ce mouvement géodésique doit être le même en tout point de l’Univers d’où une courbure uniforme (principe cosmologique). Le but est de définir la géométrie globale et unique de l’univers, enveloppe des géométries locales se raccordant entre elles.

Einstein est donc amené à construire un modèle d’univers.

La solution d’Einstein d’une métrique compatible d’une densité homogène de l’univers aboutit à une géométrie globale à faible courbure de l’Univers présentant partout un même mouvement géodésique inertiel localement assimilable au mouvement inertiel galiléen.

Dans le cas d’une constante cosmologique nulle on retrouve l’espace vide de Minkowski mais cet espace étant infini, l’explication cosmologique de l’inertie conduit Einstein à une constante cosmologique non nulle pour rendre fini son univers courbe. Cette constante relie donc la densité et le rayon dans un univers statique (car la densité est constante dans le temps).

Pour rendre sa théorie cohérente, Einstein n’a donc pas relié l’inertie à un espace absolu comme Newton mais il a défini une inertie des masses les unes par rapport aux autres.

L’inertie est donc liée à l’assimilation locale du mouvement géodésique dû à la masse avec le mouvement inertiel lié à un espace sans masse (en fait la masse est remplacée par la somme énergie propre + énergie de mouvement mesurée en chaque point).

L’assimilation consiste à considérer que chaque point de l’espace courbe réel est tangent à un point de l’espace plat fictif où la vitesse se conserve.

Si l’espace admet une tangente, on dit qu’il est " différentiable ". L’assimilation espace courbe/espace plat tangent est justifiée mais elle ne l’est sur une section d’autant plus faible que le champ est fort.

Pour un observateur extérieur tout ce qui est au-delà de l’horizon du trou noir ne peut faire l’objet de cette approximation car les trous noirs accentuent infiniment la courbure en produisant un puits sans limite (d’où la volonté d’Einstein de résorber de ses équations les solutions conduisant à des trous noirs).

Einstein peut donc relier l’inertie à la géométrie locale qui résulte de la courbure quasi constante d’un univers fermé. C’est le summum d’une longue démarche. Einstein à Berlin a presque gagné sa guerre. Nous sommes au début de 1917. Il y a pourtant un coin enfoncé dans la belle théorie.

Revenons au problème du seau de Newton et de Mach (par rapport à quoi le fluide tourne t-il pour engendrer des forces d’inertie ?), la distribution des masses de l’univers déterminant en tout point la relation entre les variations de longueur et l’écoulement du temps, le référentiel inertiel pour chaque masse est défini comme celui où le mobile est en chute libre dans le champ de gravité de toutes les autres masses. C’est par rapport à un tel repère que l’on pourra définir si le seau tourne ou pas (et s’il tourne il sera affecté d’une force centrifuge car son mouvement étant accéléré, il ne sera plus inertiel).

Mais la relativité générale n’induisant aucune contrainte en soi sur la quantité de masse, son modèle peut admettre le cas où le seau est le seul objet dans l’univers (en fait la solution la plus simple de la relativité est la métrique de Schwarzschild avec un corps unique fixe). Puisque dans ce cas il n’y aurait pas champ externe au seau produisant un champ de gravitation et induisant donc les forces d’inertie lors de déplacement accéléré dans ce champ, la solution d’Einstein ne répond donc que partiellement à la question.

Mais de cela Einstein n’est pas encore conscient, et bien pire va lui être révêlé...

Car soudain, c’est la catastrophe. De Sitter, un physicien hollandais, trouve une métrique compatible d’une densité nulle en tout point; on peut avoir un mouvement inertiel dans un espace vide.

Ceci remet en cause l’explication d’une inertie due au mouvement accéléré dans un champ de gravité causé par les masses lointaines.

Il faut également préciser que la valeur de la constante cosmologique n’est pas fixée dans ce modèle. La nature physique incertaine de cette constante qui apparaît dans la métrique exprimant la courbure ne permet toujours pas aujourd’hui de conclure sur sa valeur.

D’ailleurs, certaines solutions non statiques découvertes par la suite par Friedmann sont compatibles d’une constante nulle. Einstein profondément peiné par cet échec ne les considère que comme des curiosités mathématiques. Grave erreur car ces modèles sont aujourd’hui considérés comme les meilleurs modèles cosmologiques; Einstein est passé à côté  de la prédiction d’un univers en expansion.

Les mesures tendant à prouver le phénomène d’expansion (décalage systématique vers le rouge des structures à grande échelle) finiront ironiquement par reléguer le modèle d’Einstein lui-même au rang de modèle mathématique.
 
 
 
 

Echec et questions.

En résumé, Einstein, à partir d’un modèle géométrique unique, désirait justifier l’inertie.

Or il existe plusieurs modèles avec géodésique assimilables aux mouvements inertiels donc le lien entre la géométrie et l’inertie est flou. Par contre, l’inertie est liée à un contenu matériel de l’univers et la géométrie dépend de ce contenu; le lien entre la géométrie et l’inertie est indirect.

Le principe d’équivalence n’ayant conduit qu’à une multiplicité de formes d’univers et donc de métriques locales, le champ d’inertie n’est pas déterminé de façon univoque; il a donc de multiples causes possibles par la relativité.

Pour résoudre le problème, il faudrait un modèle qui exclut les solutions avec une masse unique où l’objet étant singulier, la symétrie entre l’objet et le reste de l’univers ne peut plus s’appliquer. Il faut en fait déterminer quels sont les sources de la gravitation. En effet , les équations d’Einstein suppose une source et décrit leurs conséquences sur les relations de temps et d’espace (la métrique): il exprime le comment et non pas le pourquoi.

On peut aussi chercher à distinguer le mouvement inertiel du seul mouvement droit et en déduire la bonne géométrie (à partir des modèles non statiques) puis retrouver la loi reliant l’inertie au contenu matériel.

Une contrainte serait de retrouver le lien statistique entre une masse inerte donnée et l’ensemble des masses de l’univers.

Une troisième voie fut dessinée par Sciama dans les années 50. Les forces d’inertie apparaissant quand le référentiel n’est pas inertiel peuvent être vues comme une " induction ". Ce sont des forces qui apparaissent uniquement par changement de référentiel (tout comme un champ magnétique s’ajoute à un champ électrique si le référentiel est en mouvement relatif). L’idée est que les forces d’inertie correspondent au champ gravitationnel induit par l’accélération de l’Univers. Grande idée, mais une accélération par rapport à quoi ?

Une autre voie pourrait être de renverser la question de l’inertie.

Est ce l’approximation de notre univers par un univers vide décrit géométriquement par un espace plat qui engendre une vitesse constante ou est ce un phénomène qui tend à engendrer une propagation à vitesse constante qui permet au mobile de conserver son état de mouvement et justifie cette approximation ? Le retour du débat sur la cause globale et externe ou la cause interne.

Or que nous apprends l’expérience de Michelson ? La constance de la célérité de la lumière. La lumière est donc le prototype d’un objet inertiel car de propriétés invariantes dans tous les repères.

Que nous apprend l’observation ? Que tout objet en orbite est soumis aux forces d’inertie dont l’orientation et l’intensité assurent l’équilibre entre l’accélération due à la pesanteur et l’accélération due à l’inertie. Cet objet en orbite tend ainsi à suivre le chemin de la lumière qui en émanerait.

Or tout objet qui suit à vitesse constante un chemin de lumière suit apparemment une ligne droite quelle que soit l’intensité du champ attractif. On a donc un mouvement inertiel qui n’est pas un mouvement droit; le mouvement inertiel est celui qui suit le chemin de lumière.

Le point qui l’illustre le mieux est qu’à l’approche d’un trou noir la force centrifuge se renverse et tend à devenir centripète lorsque le chemin de lumière est plus courbé qu’un cercle.

Les forces d’inertie sont donc les forces qui se développent pour que le mobile suive le trajet de la lumière.

Ne retrouve t-on pas sur le chemin de l’inertie et de la gravitation le débat de l’onde et de la particule, complémentaire et équivalent ?

L’inertie serait alors déterminé par une forme d’onde propre au mobile. Il faudrait montrer que cette forme d’onde est compatible du principe d’équivalence inertie-gravité et cette contrainte pourrait peut-être s’exprimer sous la forme de l’équivalence onde-corpuscule.

Peut on raccrocher l’hypothèse de l’onde à l’effet de courbure? Si le principe d’équivalence mène à plusieurs modèles d’univers, tous ces modèles se ramèneraient à une seule onde dont la conservation induirait l’inertie.

Le débat sur l’inertie qui a engendré la relativité et des modèles cosmologiques ne serait il pas le chemin unificateur entre le modèle de l’univers et le grand débat de la mécanique quantique: la dualité onde-corpuscule, continuité ou granularité? La solution au problème de l’inertie participerait alors au grand trait d’union entre le macrocosme et le microcosme. Mais la discussion spéculative de ce point nous entraînerait dans un cadre non consensuel et donc en dehors des principes de ce court exposé.